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Collégiale Saint-Just – Mémoire et Patrimoine

figures de la collégiale I Le chanoine Vernet

LE CHANOINE VERNET

Article  extrait du bulletin de la FSSP Lyon, Communicantes n°110 – Novembre 2017- Avec l’aimable autorisation du Supérieur

Le Chanoine Vernet, curé de Saint-Just de 1917 à sa mort en 1934, est une de ces belles figures sacerdotales qui ont durablement marqué les âmes et la vie de la collégiale. Il est encore considéré à Lyon, ainsi que dans son ancienne paroisse du Beaujolais, comme l’un de ses curés les plus attachants, si ce n’est des plus saints ! Selon sa volonté, son cœur repose aujourd’hui dans la sacristie de la collégiale. Le texte qui suit est extrait du bulletin paroissial de Saint-Just de décembre 1934.

“Vos âmes ! Il me faut vos âmes mes bien aimés paroissiens, vos âmes qui m’ont été confiées par Dieu. Vos âmes que j’ai adoptées, dont je porterai au tribunal de Dieu, après ma mort, la terrible responsabilité !”

Pierre Vernet naît à Verrières en Forez le 30 juillet 1856. Il entre au séminaire de Montbrison et est ordonné prêtre le 11 juin 1881. C’est le Beaujolais qui fut le premier théâtre de son zèle. Pendant 36 ans il s’y dépensa sans compter. D’abord comme vicaire à Quincié. Puis ce fut Saint-Joseph-en-Beaujolais, où il demeura pendant 30 ans. C’est la phase la plus admirable de sa vie. Pour bien la comprendre, il faut savoir en quel état se trouvait à ce moment Saint-Joseph.

Non loin de Quincié, sur le flanc de la montagne d’Avenas, une nouvelle paroisse venait d’être créée, au point de jonction des communes de Villié-Morgon, Régnié et Chiroubles. C’était Saint-Joseph-en-Beaujolais. Le curé, M. l’abbé Lentillon, entreprit des travaux considérables. Mais dans l’impossibilité de couvrir les frais engagés, il prit peur, et laissa la paroisse avec de lourdes dettes.

Devant une pareille situation, il semblait que c’en était fait de Saint-Joseph. Mais la Providence veillait et inspira à l’autorité diocésaine de faire appel au jeune vicaire de Quincié pour sauver cette paroisse. Le jeune prêtre, après un instant d’hésitation, fort de sa foi et de sa confiance en Dieu, eu le courage d’accepter immédiatement, mais il demanda la permission de quêter partout… Elle lui fut accordée. Alors, plein de zèle et d’enthousiasme, il commença son ministère de prêtre quêteur.

Il a raconté souvent son départ de Quincié : le chapelet à la main derrière un char qui portait son pauvre mobilier… Quand il arriva en vue du clocher de sa nouvelle paroisse, il tomba à genoux au milieu de la route et, s’adressant au bon saint Joseph avec tout l’élan de son âme, il le supplia de l’aider à payer les dettes et lui promit de lui élever une belle statue à l’endroit même, dès que la somme aurait été réunie. Sa prière fut exaucée. Cinq ans après, les créanciers étaient remboursés et en 1891 saint Joseph avait sa statue. Que de voyageurs l’admirent encore sur la route de Beaujeu !…

Dans sa paroisse, il sut gagner la confiance de tous. Aussi l’aurait-on porté en triomphe s’il était permis à la reconnaissance publique de s’exprimer. Entre temps, avec quel entrain et quel amour il organisait sa paroisse ! Un chœur de chantres et de chanteuses se constitue, les écoles s’élèvent, l’Église s’embellit et depuis, deux beaux clochers s’élancent dans le ciel, peuplés de cloches qui s’en vont en échos, répéter que saint Joseph vit de nouveau.

Les œuvres les plus diverses sont fondées : une compagnie de pompiers munie d’une pompe très perfectionnée ; une caisse rurale ; une mutuelle pour le bétail et bien d’autres choses qui pouvaient contribuer au bien-être de ses paroissiens. Il était non seulement « à la page » mais encore un initiateur, un précurseur.

Son activité était débordante et inlassable. Mais son grand souci était le bien des âmes : aussi toutes les œuvres étaient florissantes : Congrégations d’enfants de Marie, des Mères chrétiennes, du Rosaire, Tiers-ordre de Saint-François, Apostolat de la prière, Garde d’honneur etc…

Les trente années qu’il passa à Saint-Joseph furent donc laborieusement employées. On se demande encore comment il pouvait s’occuper de sa paroisse, tout en menant une vie de quêteur et de missionnaire : il était sans cesse en déplacement pour prêcher des missions, des retraites, des pèlerinages… Et Lourdes fut son terrain privilégié. Qui ne l’a vu à l’œuvre ! Il fut vraiment prodigieux : aussi comment s’étonner de la vénération dont l’ont toujours entouré ses paroissiens et leurs descendants.

Cependant, en 1908, une lettre de Sa grandeur Monseigneur l’Archevêque, le nommant recteur du pèlerinage de Notre-Dame de Valfleury, lui cause un grand émoi. Cette faveur lui souriait certainement. Il aimait tant la Sainte-Vierge ! Mais, à ce moment, il était en pleine organisation de la Maison de famille qui connaissait des soucis divers. Aussi demanda-t-il à rester à Saint-Joseph qui le conserva encore près de dix ans.

En 1917, il est nommé curé de Saint-Just, à l’ombre du sanctuaire de la Vierge de Fourvière. Malgré un déchirement profond, il accepte. Mais, loin d’oublier la paroisse de Saint-Joseph il revient chaque année, créant pour ainsi dire un « oasis de piété » pour ses paroissiens et pour les dames pensionnaires qui passaient leur été à la maison de famille. Quoi de plus étonnant alors qu’il ait demandé de reposer dans le caveau qu’il s’y était préparé il y a vingt ans. Mais il tint malgré tout à laisser son cœur à Saint-Just comme gage de son attachement à cette dernière paroisse et pour s’assurer plus de prières. C’est le vœu que l’on relève dans son testament : « Je désire être enterré dans mon caveau de Saint-Joseph ; mais comme je mourrai probablement à Saint-Just en donnant à cette paroisse les derniers efforts de ma vie sacerdotale, je désire que l’on extraie mon cœur pour qu’il reste à Saint-Just. Ainsi je laisserai quelque chose du pauvre moi terrestre à ces deux paroisses que j’ai tant aimées. J’abandonne mon corps à la terre, alors que j’aurai livré mon âme à Dieu, à ce Dieu sur la miséricorde duquel j’ose compter au seuil de mon éternité. »

Le dimanche 11 novembre 1917, la paroisse de Saint-Just était en fête. Elle avait la joie d’assister à l’installation du nouveau curé qui venait succéder au regretté abbé Greffet, de pieuse et sympathique mémoire. Le nouveau curé était M. l’abbé Pierre Vernet qui, rattaché en quelque sorte à Saint-Joseph-en-Beaujolais, venait faire de sa nouvelle paroisse de Saint-Just, un pacte d’alliance, d’amour dévoué jusqu’à sa mort qui devait durer dix-sept années.

Son intime ami, le chanoine Deguerry, curé-archiprêtre de la Primatiale, avait été délégué par Son Éminence le Cardinal pour présider à son installation. Dès sa première allocution, au cours de cette cérémonie et malgré sa douleur qu’il avouait d’avoir dû rompre les liens si forts qui l’attachaient à sa chère paroisse de Saint-Joseph-en-Beaujolais, il affirmait vouloir être désormais, tout entier, corps et âme, cœur et vie, à sa nouvelle paroisse qui a, disait-il, la faveur d’avoir sur son territoire la Vierge et le sanctuaire de Fourvière, « Notre-Dame de chez nous », comme il se plaisait plus tard à l’appeler. Et de fait, il se mettait tout de suite à l’exécution de son programme et de sa promesse, avec tout son cœur, avec tout son dévouement, jusqu’à la dernière limite de ses forces consacrées, « sans trêve ni merci, à la chère paroisse de Saint-Just. »

C’était encore la guerre à cette époque, l’effroyable et interminable guerre, et la paroisse était toujours veuve de ses enfants appelés pour la défense de la Patrie, et dont un trop grand nombre ne devait plus revenir. Avec nos soldats, il se hâtait de s’assurer de l’envoi immédiat du Bulletin Paroissial dont il assumait dès lors la direction, tandis que chaque jour, il s’efforçait de rendre vie et courage aux œuvres de la paroisse, privées de trop de leurs membres, ainsi qu’à ses paroissiens eux-mêmes. Dès cette époque déjà, les témoins de son ministère sacerdotal pouvaient se rendre compte de son zèle pour les âmes et du peu de cas qu’il ferait de ses peines et de sa santé même, pour se faire tout à tous. Bientôt, au cours de cette première année d’apostolat, il devait être réduit à ses seules et propres forces, car son collaborateur « vrai prêtre selon le cœur de Dieu » disait-il, l’unique vicaire qui lui restait, quittait la paroisse pour devenir aumônier des Sourdes et Muettes de Vaise.

Notre bon curé resta seul dans le champ à cultiver, pendant six mois jusqu’à ce que, la guerre terminée, la démobilisation de l’armée lui permit de se voir secondé par deux nouveaux vicaires dont l’un, malheureusement, devait lui être enlevé au bénéfice d’une autre paroisse au bout de dix-huit mois seulement. Dès lors, il se livra sans relâche à la double mission que son zèle apostolique lui proposait : amélioration et réorganisation matérielles, renouveau spirituel et intensité de vie chrétienne, sanctification des âmes. Infatigablement, il travaille à cette double réalisation dont progressivement, nous en avons été les témoins : réorganisation ou recrutement intensifié de la Confrérie du Saint-Sacrement dont il désirait si ardemment voir le nombre de ses membres atteindre la centaine. Réorganisation complète de la Confrérie des Trente-Trois dont le nombre était alors des trois-quart.

Son zèle pour les âmes impliquait aussi le zèle pour la Maison de Dieu. C’est donc le grand et délicat travail de la restauration de notre vénérable collégiale de Saint-Just qu’il voulut entreprendre d’abord et su mener à bien. Le fond de l’abside n’était plus alors en harmonie avec l’église restaurée et rendue à sa première fraicheur. La masse du buffet d’orgues l’assombrissait en masquant une partie des verrières d’ailleurs dissemblables. Les vitraux rétablis et unifiés encadrant au centre le vitrail du Bon Pasteur vinrent faire resplendir d’une nouvelle clarté le fond de l’abside. Et l’église tout entière devait bientôt resplendir aussi d’une nouvelle lumière par l’installation de l’éclairage et de la décoration électrique.

Notre organiste réclamait depuis longtemps le remplacement des orgues anciennes déjà insuffisamment puissantes qui chantaient d’une voie essoufflée et vieillotte: nouveau buffet n’interceptant plus le jour, nouvelles orgues aux jeux multiples. Nos jeunes gens du Patronage, de la Vaillante de Saint-Just n’avaient plus depuis la guerre, de local approprié. La Providence qui répondait si bien aux sollicitations et aux prières instantes et confiantes de notre cher pasteur, lui procurait enfin au 16 de la rue des Farges, le local désiré que monsieur le curé, devenu, à la plus grande joie de ses paroissiens, monsieur le Chanoine Vernet, avait le plaisir de bénir et d’inaugurer en mai 1926.

Et les écoles paroissiales ! Ces chères Écoles libres, « l’œuvre des œuvres » disait-il. Que n’a pas fait notre bon curé pour les soutenir, les entretenir, les réparer, en améliorer les locaux et les rendre florissantes ! Que de soins, que de soucis, de tracas de toute sorte et que de sacrifices pour arriver à subvenir aux dépenses nécessaires. Ce devait être, ce fut toujours, pour le chanoine Vernet, sa grande préoccupation, son souci angoissant jusqu’à son dernier jour. Mais à côté de tous ces projets si heureusement réalisés d’amélioration et de perfectionnement, que dire de l’œuvre maitresse de ce prêtre au grand cœur, de celle à laquelle il tenait plus encore qu’à toutes les autres, car il en parlait et il y revenait sans cesse : la vie toujours plus chrétienne de sa paroisse, la sanctification des âmes ! Par tous les moyens, toutes les exhortations, toutes les manifestations de son charitable zèle, il travaillait à y pourvoir et à l’obtenir.

Les missions données à plusieurs reprises et avec quel succès ! la plupart s’en souviennent encore, en 1920, en 1926 et encore après ses noces d’or sacerdotales, en 1931, furent des occasions de fêtes magnifiques, mais surtout de renouveau de piété, de retour et d’élan vers Dieu qui faisaient se presser au pied de l’autel la foule innombrable des paroissiens de Saint-Just. Il fallait entendre notre bon pasteur parler des âmes qui lui étaient chères, et que de toute l’ardeur de son cœur de prêtre il voulait absolument mener et donner à Dieu : « Oh, venez à nous, disait-il, venez à nous, vos prêtres, qui voulons tant vous sauver !»

Mieux que tout ce que nous pourrions dire de son action intime sur les âmes, ces lignes qu’il écrivait dans une des pages vibrantes qu’il donnait au Bulletin Paroissial peuvent donner une idée de cette soif ardente des âmes qui le possédait et qui explique la confiance et la vénération qu’il avait su inspirer à tous ses paroissiens :

« Voilà mon instante prière, mon interminable prière que je veux crier au Ciel jusqu’à mon dernier soupir. Vos âmes ! Il me faut vos âmes mes bien aimés paroissiens, vos âmes qui m’ont été confiées par Dieu. Vos âmes que j’ai adoptées, dont je porterai au tribunal de Dieu, après ma mort, la terrible responsabilité ! Il me faut vos âmes en la vie chrétienne, vos âmes à la prière, au Sacrifice Divin, aux sacrements de notre belle église qui a été renouvelée, embellie, parachevée pour que vous y veniez avec plus d’attrait… Il me faut vos âmes pour le bonheur éternel du Ciel, quand vous quitterez ce pauvre monde ! Si je ne les sauve point, serai-je sauvé moi-même ! Et puis, je ne peux me faire à cette pensée que quelques-unes seraient perdues… O Jésus ! Donnez pleine efficacité à cette prière que vous faisiez Vous-même, et laissez-moi la faire mienne en face de ma famille des âmes : mon Dieu, que pas une de celles que vous m’avez confiées ne soient livrée à la perdition ! »

Il serait superflu d’ajouter quoi que ce soit à cette sublime prière de pasteur.

Mais il est bon de connaitre ses derniers moments. S’il fut prêt à paraitre devant Dieu au mois de février, lorsque sa première maladie le terrassa, il l’était encore davantage lorsque Dieu jugea de le rappeler… Alité depuis le vingt et un octobre à la suite d’un coup de froid, le malaise s’aggrava soudain, au point qu’on jugea bon de lui donner le sacrement d’Extrême-Onction. Et durant trois semaines, ce furent des souffrances très pénibles. Mais il se plaisait à dire : « Oh que la souffrance est bonne, elle purifie… » De jour en jour, ses forces déclinèrent. A l’approche de ses derniers moments, il redoublait de prières. En serrant dans ses mains son crucifix et son chapelet il redisait sans cesse : « Mon Dieu, je crois en Vous, j’espère en Vous, je vous aime et j’accepte votre Sainte Volonté. » Et la veille de sa mort, une douce paix envahit tout son être… Tous pouvaient croire à une amélioration mais lui ne se trompait pas. En effet, le lendemain, vendredi seize novembre, après avoir reçu la communion des mains de son premier vicaire, comme chaque matin, et fait son action de grâces, il s’endormait dans le Seigneur, finissant son Te Deum pour l’Éternité.

Sublime mort, couronnement d’une vie de zèle et de sainteté : le triomphe de ses funérailles fut la réponse de son zèle ici-bas ; le bonheur du Ciel aura été la récompense de sa sainteté sacerdotale, là-haut.

TESTAMENT DE L’ABBÉ PIERRE VERNET

“À mes deux paroisses de Saint-Joseph et de Saint-Just

Dieu m’est témoin combien j’ai aimé le peuple et les âmes que la Providence ma confiées. Je crois avoir tout donné, en me donnant moi-même ; mais l’ai-je fait avec assez d’esprit de foi ? L’amour propre, mes défauts et mes fautes n’ont-ils pas diminué, étouffé peut-être les biens surnaturels que j’aurais pu, que j’aurais dû faire ! Quelle responsabilité pour ces quarante-deux ans de sacerdoce et plus ! Combien je demande pardon à toutes les personnes à qui j’aurai pu faire de la peine et même scandaliser !

Je supplie toutes les âmes que j’aurai pu approcher par mon ministère dans mes paroisses, en mes travaux de prédication et à Lourdes, de prier beaucoup pour ma pauvre âme, afin qu’elle n’ait pas à séjourner trop longtemps en Purgatoire, car j’ose espérer de la bonté et de la miséricorde de Dieu d’échapper à l’horrible enfer éternel… Dans la mesure où Dieu voudra me faire crédit dans le Ciel, je promets de payer de retour les âmes qui auront contribué à m’y faire entrer plus tôt.

Dès maintenant, je veux bénir de ma main tremblante, au moment suprême de la mort, mes âmes, toutes mes âmes, afin d’aider à leur salut et qu’elles me retrouvent un jour dans le sein de Dieu.

J’accepte le genre de mort qui m’est réservé, m’immolant d’avance par amour, dans les Saints Cœurs de Jésus, Marie, Joseph, pour les âmes qui m’ont été confiées.”

Pierre Vernet