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Collégiale Saint-Just – Mémoire et Patrimoine

LA LITURGIE LYONNAISE OU RIT LYONNAIS

Texte  extrait du bulletin de la FSSP Lyon, Communicantes n°108 – Juillet-Août 2017 – Avec l’aimable autorisation du Supérieur

Le diocèse de Lyon possède une liturgie particulière très ancienne attestée comme rite propre de l’archidiocèse de Lyon, dès le IXe siècle. Elle est une des manières de célébrer la messe et les sacrements dans l’Église catholique latine et date d’environ l’époque carolingienne (VIIIe – IXe siècle). Elle vient, en droite ligne, de Rome. La liturgie lyonnaise est régulièrement célébrée à la collégiale Saint-Just depuis la solennité de Saint-Irénée, le 28 juin 2017.

Le rit lyonnais (en latin : le ritus lugdunensis) est une des manières de célébrer la messe et les sacrements dans l'Église catholique latine.

Sacramentaire Grégorien - seconde moitié du 9ème siècle
Sacramentaire grégorien-seconde moitié du 9ème siècle

I – Un rit antique

Il est attesté, comme rit propre de l’archidiocèse de Lyon, dès le IXe siècle, mais à la différence des rits ambrosien ou mozarabe, il a quasiment disparu à la suite des réformes liturgiques de 1969. Toutefois, certaines de ses caractéristiques (surtout des points de détail) persistent dans la liturgie célébrée dans certaines églises de Lyon, par exemple à la primatiale Saint-Jean-Baptiste, l’église-cathédrale de Lyon. Ainsi, le rit de l’encensement est différent : il se fait à chaîne longue, à l’orientale, et non à chaîne courte comme dans le rit romain.

Le rit lyonnais puise ses particularités dans une histoire riche de composantes fixées depuis le bas Moyen-Âge. L’empereur Charlemagne ayant entrepris de poursuivre une réforme liturgique engagée par son père Pépin le Bref entre la fin du VIIIe et le premier quart du IXe siècle dans le but d’établir à tout prix dans les Gaules la liturgie romaine à la place des anciens rits locaux, il envoya à Lyon, un de ses chapelains, Leidrade, avec mission de réorganiser le culte selon les usages observés dans la chapelle palatine d’Aix-la-Chapelle. Depuis la mort d’Adon, évêque de Lyon, en 798, le siège épiscopal de la ville était vacant et il régnait un grand désordre au civil comme au religieux. Le nouvel archevêque connaissait fort bien la liturgie romaine, à laquelle son souverain était si attaché ; il avait vu comment elle se pratiquait, dans ce livre romain appelé « sacramentaire grégorien » (ancêtre du missel), dont le pape Adrien Ier venait d’adresser des exemplaires officiels à Charlemagne, et aussi dans ce vieux cérémonial, « ordo romanus », établi à Rome entre les années 768 et 772, et décrivant les rits solennels de la messe papale, et dont les exemplaires se répandaient à travers les provinces de l’empire, avec cette note ajoutée au texte romain, qui achevait de le rendre plus sympathique : « les évêques célèbrent tout comme le Souverain Pontife. »

Missel à l'usage de Lyon - Dernier quart du 13° siècle
Missel romain à l’usage de Lyon portant dédicace pour la collégiale Saint-Just – source: Initiale – catalogue de manuscrits enluminés – clic sur image

Dans l’ensemble, Leidrade adopta ce rit romain-grégorien tel qu’on le suivait à Aix-la-Chapelle et le fit observer dans l’église de Lyon. Cependant le zélé réformateur dut garder bon nombre d’usages et de textes anciens empruntés à la vieille liturgie franque. C’est ce mélange romano-franc qui constitue aujourd’hui la liturgie lyonnaise. Il se situe, comme le rit romain, dans le système liturgique occidental, mais avec des emprunts aux rituels gallicans en vigueur jusqu’au IXe siècle. Ceux-ci furent marginalisés par la romanisation progressive des liturgies franques voulue par Charlemagne, mais le rit lyonnais en conserva un certain nombre. Le socle principal sur lequel repose la liturgie lyonnaise est donc le rit romain du IXe siècle tel qu’il se pratiquait autour de l’empereur, auquel s’ajoutent des reliquats de liturgie d’origine franque. Mais si le rit romain est en constante évolution, le rit lyonnais se caractérise par un conservatisme extrême. Formé vers 850, celui-ci ne connaîtra ses premiers changements qu’au XVIIIe siècle, au moment des réformes de Mgr de Montazet. Défendu ardemment par l’archevêque et le chapitre de la cathédrale Saint-Jean, ceux-ci résistent ainsi aux réformes du concile de Trente.

II – La romanisation progressive

Avant lui, des innovations liturgiques ont commencé à modifier le rit lyonnais, promues par Mgr de Rochebonne. En 1749, Mgr de Montazet promulgue sans l’aval du chapitre cathédral un nouveau missel : sa volonté est de se rapprocher des livres liturgiques romains, et d’aligner presque tout le missel lyonnais sur le missel parisien.

Cette décision ne fait qu’entériner un mouvement initié dès la fin du XVIIe siècle. Toutefois, les religieux lyonnais attachés à leur forme de culte n’acceptent pas la décision et utilisent tous les moyens de recours dont ils disposent. De procès en procès, le conflit arrive jusqu’au Parlement qui tranche en faveur de l’archevêque. Durant le conflit, Mgr de Montazet réforme également le bréviaire local.

Son action lui vaut des accusations de jansénisme. Toutefois, si les textes changent, le rit en lui-même reste peu modifié. À la sortie de la Révolution française, le clergé lyonnais parvient à expurger du bréviaire les parties jugées trop jansénistes. Le rit se modifie au XIXe siècle. Un orgue est installé dans la cathédrale, alors que jusqu’ici, toutes les cérémonies n’utilisaient que le plain-chant, sans instrument.

Le cardinal de Bonald, en 1866, promulgue un missel dont l’intitulé est à lui seul annonciateur du contenu : Missale Romano-Lugdunense, sive missale Romanum in quo ritus Lugdunenses ultimi tridui ante Pascha, ordinis missae et vigiliae Pentecostes auctoritate Sanctae Sedis Apostolicae iisdem ritibus romanis proprio loco substituuntur(Le missel romain-lyonnais, ou missel romain dans lequel les rites de Lyon pour les trois derniers jours avant Pâques, la messe de l’ordre et la veillée de Pentecôte sont remplacés par les mêmes rites romains mis à leur juste place par l’autorité du Saint-Siège apostolique).

L’édition de 1904, conduite par le cardinal Coullié, intercalait des rits et des fêtes propres. La dernière édition typique du Missel lyonnais fut publié en 1956, avec le cardinal Gerlier. Neuf ans plus tard, en 1965, alors que les réformes liturgiques du concile Vatican II se préparaient avec de plus en plus d’acuité, un rituel propre au diocèse de Lyon était encore publié. Malgré cette dernière publication, les réformes de 1970 entrainèrent la disparition presque complète du rit lyonnais, remplacé par le rit romain rénové par Paul VI. Seuls quelques chanoines-comtes de Lyon et quelques membres de la société Saint-Irénée maintinrent la pratique de ce rit occasionnellement.

III – Messe romaine et messe lyonnaise

C’est dans les déploiements de la messe pontificale que se rencontrent les différences entre rit romain et lyonnais les plus nettes, mais des nuances notables sont décelables dès la messe basse. Voici les principales divergences « Pour la messe basse, notez avant tout : texte différent des prières au bas de l’autel ; conservation des séquences (disparues au romain après le concile de Trente) ; utilisation d’un corporal à quinze parties ; offertoire différent (hostie et calice en même temps) ; bras du prêtre en croix pendant l’Unde et memores, en croix sur la poitrine pendant le Supplices te rogamus ; […] transport du missel fermé (ouvert au romain) par le servant […]. »

À la messe pontificale, le déploiement maximal de la pompe liturgique lyonnaise accentue encore les différences. Là où la liturgie romaine requiert le service d’une quinzaine de clercs, la messe lyonnaise mobilise trente-six servants. À la cathédrale Saint-Jean par exemple, jusqu’à la réforme liturgique de Paul VI, le chœur descendait jusqu’au commencement des stalles afin de ménager un espace suffisamment vaste pour le déroulement des cérémonies pontificales. Pour les messes solennelles, la plupart des chants étaient psalmodiés sur des tons différents de ceux du rit romain, un sous-diacre se tenait derrière l’autel pendant l’élévation – pour cette raison, l’autel lyonnais n’était jamais adossé au mur de l’abside – et encensait à longue chaîne, à la manière orientale. De plus, les ministres inférieurs utilisaient un manipule, à l’instar du prêtre, et un rit propre à Lyon, l’administration, avait lieu pendant le Graduel.

Une dernière différence majeure apparaissait lors de la messe pontificale du Jeudi saint : les six prêtres assistant l’évêque concélébraient avec lui sacramentellement, seule occasion, avec les rits d’ordination, de concélébration dans l’ensemble des rits latins. Par ailleurs, certains éléments de tout temps présents dans la liturgie de Lyon se sont vu remettre en valeur dans le rit romain à l’issue des réformes du concile Vatican II, à l’instar de la concélébration. Ceci explique peut-être la faiblesse des oppositions que rencontra la pratique nouvelle dans le diocèse de Lyon, alors que certains la virent ailleurs comme non-traditionnelle.

Si l’on veut saisir davantage toute l’originalité du rit lyonnais, il faut prendre part à une messe pontificale ou solennelle, la messe basse n’étant qu’une réduction étriquée de la messe chantée, celle-ci n’étant qu’une messe pontificale diminuée.

Aussi, il paraît utile et digne de l’Eucharistie de jeter un rapide coup d’œil sur le cérémonial lyonnais de la messe pontificale et solennelle, dont l’Église de Lyon se fait une gloire d’entourer la consécration du corps et du sang du Seigneur. On sera frappé par l’ampleur et la majesté des rits, mais aussi par une certaine sobriété et austérité.

Ces particularités apparaissaient aux yeux du simple fidèle par la simple comparaison des oraisons du Missel, mais les différences entre forme tridentine du rit romain et rit lyonnais à la messe basse, et même à la messe chantée, sont assez minimes.

Toutefois, il semble que des coutumes propres comme « l’administration » et le « rit des tablettes » étaient connues des catholiques lyonnais. La messe solennelle lyonnaise est une réduction de la messe pontificale. Aux fêtes solennelles, les ministres sacrés pouvaient être assistés de ministres indults. Le sous-diacre n’apparaissait dans le presbytère que le temps de ses fonctions, étant dans sa stalle le reste du temps. Les vêpres solennelles étaient caractérisées par l’absence de chapiers. Seul l’officiant revêtait la chape pendant l’antienne de Magnificat pour encenser l’autel durant ce cantique et la quittait aussitôt après.

Ainsi, le rit lyonnais, au début des années soixante, était encore bien vivant.