figures de la collégiale I Saints Alexandre et Épipode
SAINTS ALEXANDRE ET ÉPIPODE
Extrait de “LES MARTYRS”, recueil de pièces authentiques sur les martyrs depuis les origines du Christianisme jusqu’au XXe siècle, traduites et publiées par le R. P. Dom H. LECLERCQ, moine bénédictin de Saint-Michel de Farnborough – Édition de 1920.
“Je suis chrétien, comme mon frère Épipode qui règne en ce moment dans le Ciel. Faites-donc de mon corps ce que vous voulez, mon âme sera reçue par le Dieu qui me l’a donnée”
Saint Alexandre est un jeune martyr de Lyon. Sa main reliquaire est une des reliques insignes qui est vénérée depuis des siècles à Saint-Just. Une place et une rue toutes proches de la collégiale portent son nom.
Saint Épipode est honoré à l’église Saint-Irénée
Lucius Verus et Marc-Aurèle régnaient depuis dix-sept ans, lorsque la fureur des gentils se répandit dans toutes les provinces, particulièrement dans la ville de Lyon, et les traces qu’elle y laissa furent d’autant plus sanglantes et plus nombreuses, que cette cité comptait un plus grand nombre de fidèles. Les noms de quelques-uns des martyrs ont été conservés avec les circonstances de leur mort ; mais il y en a beaucoup plus qui, pour avoir fini leurs jours dans l’obscurité, ne sont écrits que dans le Livre de la vie bienheureuse. Car après cet horrible carnage des chrétiens dont le sang remplit la ville de Lyon, et fit changer de couleur les eaux du Rhône, les païens crurent avoir entièrement éteint le nom et la religion de Jésus-Christ. Ce fut alors qu’Alexandre et Épipode, qui en faisaient profession secrètement, furent dénoncés au gouverneur. Ce magistrat donna des ordres très précis pour les faire arrêter, s’imaginant pouvoir enfin achever d’abolir en leur personne une religion qui lui était si odieuse.
Mais avant d’en venir aux particularités de la mort de ces saints, il faut dire un mot de leur vie.
Alexandre était Grec, mais Épipode était natif de Lyon ; tous deux unis par les mêmes études, mais plus unis encore dans la suite par les liens d’une véritable charité.
Ils étaient dans la fleur de leur jeunesse et n’étaient pas mariés. Dès qu’ils virent la persécution, ils songèrent à suivre le conseil de l’Évangile ; mais ne pouvant pas fuir d’une ville à une autre, ils se contentèrent de chercher une retraite où ils pussent demeurer cachés et servir Dieu en secret. Ils la trouvèrent dans un faubourg de Lyon, près de Pierre-Encise, et ce fut la maisonnette d’une veuve chrétienne qui les cacha. Ils y furent quelque temps inconnus, par la fidélité que leur garda leur sainte hôtesse, et par le peu d’apparence qu’avait leur asile, mais enfin ils furent découverts. Ils furent arrêtés au passage étroit d’une petite chambre, au moment où ils s’échappaient ; ils étaient si éperdus lorsqu’ils virent les gardes, qu’Épipode oublia un de ses souliers que sa charitable hôtesse retrouva, et qu’elle conserva comme un riche trésor.
Ils furent mis en prison préventive, le nom seul de chrétien portant avec soi la conviction manifeste des plus grands crimes. Trois jours après, ils furent conduits, ayant les mains attachées derrière le dos, au pied du tribunal du gouverneur, qui leur demanda leur nom et leur profession. Une foule innombrable remplissait l’audience, et l’on voyait sur le visage de chacun l’expression d’une haine farouche. Les accusés dirent leur nom, et se confessèrent chrétiens. À cet aveu, le juge et l’assemblée se récrient, s’emportent, frémissent.
« Quoi! Deux téméraires oseront braver les immortels, et les saintes ordonnances de nos princes seront foulées aux pieds ! Mais, de crainte qu’ils ne s’encouragent l’un l’autre, et qu’ils ne s’animent à souffrir par paroles ou par signes, qu’on les sépare ; qu’on fasse retirer Alexandre, qui paraît le plus vigoureux, et qu’on torture Épipode. »
Suivant les traces de l’ancien serpent, le gouverneur commença par employer la persuasion. « Tu es jeune, et il est fâcheux que tu périsses pour la défense d’une mauvaise cause. Nous avons une religion et des dieux à qui nous et nos augustes princes sommes les premiers à rendre hommage. »
Épipode répondit : « La grâce de Jésus-Christ mon maître, et la foi catholique que je professe, ne me laisseront jamais prendre à la douceur empoisonnée de tes paroles. Tu feins d’être sensible aux maux que je me prépare ; mais sache-le bien, je ne regarde cette fausse compassion que comme une véritable cruauté. La vie que tu me proposes est pour moi une éternelle mort ; et la mort dont tu me menaces n’est qu’un passage à une vie qui ne finira jamais. »
Le gouverneur commanda qu’on frappât à coups de poing la bouche d’Épipode. La douleur du saint martyr ne fit qu’affermir sa constance ; et malgré le sang qui sortait de sa bouche avec ses dents, il ne laissa pas de proférer ces paroles : « Je confesse que Jésus-Christ est un seul Dieu avec le Père et le Saint-Esprit, et il est juste que je lui rende mon âme, à lui, mon Créateur et mon Rédempteur. Ainsi la vie ne m’est point ôtée, elle n’est que changée en une plus heureuse ; et il m’importe peu de quelle manière mon corps cesse de vivre, pourvu que l’esprit qui l’anime retourne à Celui qui lui a donné l’être. » À peine le bienheureux Épipode eut-il fini ces derniers mots, que le juge le fit élever sur le chevalet, et mit, à droite et à gauche, des bourreaux qui lui déchirèrent les côtes avec des ongles de fer. Mais, tout à coup, on entend un bruit formidable : tout le peuple demande le martyr ; il veut qu’on le lui abandonne. Les uns ramassent des pierres pour l’en accabler ; les autres, plus furieux, s’offrent à le mettre en pièces, tous enfin trouvent la cruauté du gouverneur trop lente à leur gré ; il n’est plus lui-même en sûreté. Surpris de cette violence inopinée, et craignant qu’on ne viole le respect dû à son caractère, il supprime l’objet de l’émeute ; il fait enlever le martyr et le fait tuer d’un coup d’épée.
Le gouverneur était impatient de tremper dans le sang d’Alexandre ses mains encore fumantes de celui d’Épipode. Il l’avait laissé un jour en prison, remettant son interrogatoire au jour suivant, puis se le fit amener.
« Tu es encore, lui dit-il, maître de ta destinée, profite du délai qu’on te donne, et de l’exemple de ceux qu’un fol entêtement a fait périr. Nous avons fait une si bonne guerre aux sectateurs du Christ, que tu es presque le seul qui soit resté de ces misérables ; car ton compagnon d’impiété ne vit plus. Ainsi réfléchis et sacrifie. »
« C’est à mon Dieu que je dois toute ma reconnaissance, que son nom adorable soit béni à jamais. »
Ces paroles irritèrent le gouverneur, qui fit étendre le saint martyr les jambes écartées, et trois bourreaux le frappèrent sans relâche. Mais ce tourment ne l’ébranla pas, il ne s’adressa jamais qu’à Dieu pour implorer le secours. Comme son courage ne se démentait pas, et qu’il commençait à lasser les bourreaux qui s’étaient déjà relayés plusieurs fois, le gouverneur lui demanda s’il persistait dans sa première confession :
« Oui, car tes dieux ne sont que de mauvais démons ; Dieu tout-puissant, éternel et invisible, me gardera dans ma foi ». Le gouverneur dit alors : « La fureur des chrétiens est montée à un tel point, qu’ils mettent toute leur gloire dans la durée de leurs souffrances ; et ils croient par là avoir remporté une victoire signalée sur ceux qu’ils nomment leurs persécuteurs ». Puis il prononça cette sentence : « Cet entêtement étant d’un fâcheux exemple, Alexandre sera mis en croix jusqu’à ce que mort s’ensuive ».
Les bourreaux prirent aussitôt le saint, et le lièrent à ce bois qui est devenu le signe de notre salut. Il n’y demeura pas longtemps sans expirer ; car son corps avait été si fort déchiré dans cette cruelle flagellation, que les côtes décharnées laissaient voir à découvert les entrailles. Ayant donc son âme unie au Christ, il la lui rendit en invoquant son saint nom.